La nouvelle cartographieréalisée par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) selon les règles établies par Québec fera doubler le nombre de résidences qui se trouvent désormais dans des zones inondables à Montréal et dans ses banlieues, soit plus de 15 500 bâtiments.
La proposition découle du dépôt par Québec du projet de modernisation du cadre réglementaire applicable aux zones inondables. Celui-ci exige de toutes les villes québécoises qu’elles mettent à jour la cartographie des zones inondables. Dans la région métropolitaine, certaines cartes dataient des années 1970, alors que dans d’autres secteurs, les cartes avaient été redessinées en fonction des données de 2016. « En mettant les cartes à jour, on doit ajouter les données de 2017, 2019 et 2023. Ç’a été des années de très haut niveau d’eau », a rappelé Nicolas Milot, directeur de la Direction de la Transition écologique et de l’Innovation à la CMM, lors d’un breffage technique vendredi.
Les règles introduisent aussi un nouveau système de désignation des zones. Auparavant, on identifiait les zones en fonction de la récurrence des inondations, soit 0-20 ans (grand courant) et 20-100 ans (faible courant). Dorénavant, les zones seront désignées en fonction d’une exposition très élevée, élevée, modérée et faible avec des couleurs allant du rouge intense, pour la zone d’exposition très élevée, au jaune pour la zone à exposition faible.
Déjà, en juin dernier, lorsque le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, avait annoncé la mise à jour du règlement concernant les zones inondables à l’échelle de la province, les inquiétudes étaient grandes. Québec estimait déjà que près de 77 000 logements, soit 2 % de la population, se retrouveraient en zone inondable alors qu’à l’heure actuelle, ils sont 22 000.
Les cartes préliminaires élaborées par la CMM en fonction des règles imposées par Québec font en sorte que 15 508 bâtiments (ou 19 000 logements) se retrouvent désormais dans les zones inondables, dont 3204 en zone d’exposition « très élevée ». « Ce n’est pas banal à l’échelle du Grand Montréal [compte tenu] de la crise du logement », indique Nicolas Milot en soulignant qu’il existe des contraintes majeures à déplacer ces résidences dont la valeur foncière atteint globalement 9,9 milliards de dollars.
En examinant un échantillon de secteurs, la CMM en vient à la conclusion que le nombre de bâtiments se retrouvant en zone inondable a doublé dans la région.
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Le cas de Sainte-Marthe-sur-le-Lac
Ce système fait donc en sorte que, par exemple, une vaste part de la municipalité de Sainte-Marthe-sur-le-Lac se retrouve en zone inondable alors qu’auparavant, seules quelques maisons en faisaient partie. Comme elle dispose d’une digue, la ville se retrouve cependant en zone jaune sur la carte (zone d’exposition faible). Sans digue, elle serait en zone rouge avec une zone de précaution de 10 mètres. « C’est une grande préoccupation », reconnaît Nicolas Milot. « Historiquement, Pointe-Calumet et Sainte-Marthe-sur-le-Lac n’étaient pas en zone inondable. De se voir apparaître dans les zones jaunes et rouges, ils [les citoyens] ont peur pour la valeur de leur maison, sur leur capacité d’hypothéquer et d’être assurés. »
Le risque zéro n’existe pas. Le 27 avril 2019, la digue de Sainte-Marthe-sur-le-Lac avait d’ailleurs cédé, forçant l’évacuation de 6000 résidents. À l’époque, rappelle toutefois Nicolas Milot, il n’existait pas de règlement pour encadrer ce type d’ouvrage de protection ni de normes pour imposer des inspections à fréquence régulière. Avec son nouveau règlement, Québec remédie à ces lacunes et réduit de façon importante les risques, avance-t-il.
Dans ce contexte, la CMM estime que les secteurs comportant une infrastructure de protection, comme une digue, devraient être identifiés selon des normes distinctes puisque le risque se retrouve fort réduit en présence d’une telle infrastructure. Un traitement différencié pourrait être accordé aux 4651 bâtiments se trouvant derrière un ouvrage de protection, comme on en retrouve dans plusieurs municipalités comme Sainte-Marthe, Deux-Montagnes, Rosemère et Bois-des-Filion, croit la CMM. « Il ne faut être surpris, dans les prochaines années, de voir des demandes de nouveaux ouvrages parce que dans bien des cas, c’est probablement la seule solution qu’on peut envisager. » Il cite le cas de Pierrefonds que des canaux de dérivation ou des parcs éponges seuls ne sauraient protéger.
En vertu du nouveau règlement de Québec, les nouvelles cartes doivent aussi tenir compte de l’incertitude liée aux changements climatiques en prévoyant une « marge de précaution », de même que l’effet des systèmes de gestion des eaux, comme les barrages d’Hydro-Québec ou les ouvrages de retenue des Grands Lacs. « Les crues qu’on vit sont le résultat d’une gestion et non pas de la nature qui vient simplement envoyer de l’eau dans ces grands systèmes », rappelle Nicolas Milot.
Enjeux financiers
Lundi, à l’occasion d’une assemblée du conseil de la CMM, les élus représentant les 82 municipalités de la région de Montréal seront appelés à se prononcer sur la proposition de cartographie de la CMM qui soumet aussi quelques recommandations. Outre l’application de normes distinctes pour les zones protégées par des ouvrages de protection, la CMM juge que le gouvernement devrait permettre la reconstruction d’immeubles existant en bâtiments résilients dans les secteurs d’exposition modérée à élevée en fonction du risque, plutôt que de « figer » le territoire avec des bungalows par exemple ou de laisser des propriétaires avec des bâtiments qui risquent de perdre beaucoup de valeur sans qu’aucune amélioration ne soit possible. « Présentement, tel qu’écrit, le règlement l’empêche », souligne Nicolas Milot.
S’ajoute le fait que Québec limite à 100 000 $ l’aide aux sinistrés, — ce qui est légitime, selon la CMM —, ce qui aura aussi pour effet de réduire à néant la valeur de certaines maisons. « Il n’y a pas un prêteur hypothécaire qui va accepter de prêter de l’argent pour des maisons qui n’ont plus la capacité d’être reconstruites ou de valoir encore quelque chose dans le futur. »
Selon Nicolas Milot, Québec a estimé que l’impact des nouvelles zones se limiterait à réduire de 4 % la valeur des résidences. La CMM estime que cette baisse est « largement sous-estimée », car elle ne tient pas compte des autres effets comme l’accès ou non aux indemnisations, les assurances et surtout, l’accès à des prêts hypothécaires. Et la CMM estime incontournable de se pencher sur un plan de relocalisation pour les zones les plus à risque.
Les citoyens peuvent consulter la nouvelle cartographie en ligne avec leur adresse civique. Nicolas Milot prévient toutefois que certains périmètres pourraient changer, car les cartes sont préliminaires et Québec devra approuver le document élaboré par la CMM.
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